Ma belle idylle ; Rosehannah T.

Cyrus étanchait sa soif, buvant allégrement l'eau du lac Brahim, les yeux fermés de contentement de sentir l'or bleu s'écouler le long de sa gorge jusqu'à son estomac. Les journées commençaient à être chaudes, et il portait encore du poil d'hiver. Avec les changements de température variés, il n'était pas simple pour les chevaux de s'y adapter. Les nuits restaient fraîches, et parfois, le jour il pleuvait ou l'on pouvait sécher au soleil comme un reptile sur une pierre chaude.

Sa robe baie brillait légèrement sous les rayons solaires, signe de sa bonne santé. L'hiver avait été rude, mais le printemps s'annonçait chaleureux et revigorant. Après la douce langueur du froid, venait la caresse d'un renouveau tant attendu. Cyrus avait hâte que les beaux jours s'installent pour de bon.

Lorsqu'il rouvrit les yeux, il fut surpris de voir son reflet dans l'eau, légèrement troublé par son mouvement de nez, les ondulations le parcourant. Il sourit.
Tout était si calme, en ce moment, tout était si agréable.

Une effluve familière soufflée par le vent lui caressa les naseaux. Il releva la tête, et chercha la jument pie du regard. Il pourrait le reconnaître entre milles, ce parfum. Aucun doute sur l'identité de sa propriétaire.

Et elle était là, belle et lumineuse comme au premier jour, comme à l'instant même, ce premier instant, où il avait posé les yeux sur la silhouette alléchante et voluptueuse de la jument pie. Beaucoup l'enviait d'être le compagnon d'une telle créature. Mais Cyrus n'en avait que faire, et au contraire, il en était fier. Parfois même, il en devenait arrogant. Rosehannah lui appartenait, maintenant. Et même si un jour, elle désirerait s'échapper à lui, il ne ferait que resserrait son emprise sur elle. Elle était un trésor qu'il ne pouvait perdre. Elle était un pilier, pour lui, qui ne pouvait se briser.

Mais elle était aussi l'origine des hostilités entre Aramis et Cyrus.

Il répondit à son salut par un faible hennissement fiévreux et rauque, son regard pétillant d'amour et de bonheur, rien qu'à sa vue. Sans plus faire attendre sa belle, Cyrus prit le pas et s'approcha d'elle. Il pénétra dans sa bulle personnelle, sans concession, et posa son chanfrein contre le sien, fermant les yeux, comme il avait l'habitude de le faire, en venant à elle, à chaque fois.

- Quel plaisir de te revoir, Hannah.

Il était bien le seul à l'appeler ainsi. D'autres lui préféraient le surnom de Rose. Mais Cyrus avait décidé de passer outre la banalité de cette fleur, pourtant si belle, et qui correspondait presque parfaitement au caractère de la jument bicolore. Cyrus l'appelait Hannah, en prétextant qu'en naissant, Rosehannah avait inventé une fleur bien plus belle qu'une rose, et bien plus subtile et parfumée. La plus magnifique. Hannah.
Il tourna son regard sur le lac.

- L'hiver s'en va à peine, et pourtant, j'ai l'impression qu'il ne fait que s'installer.

Les tensions avec les Rockwell s'intensifiaient. Cyrus avait entendu dire qu'Aramis rejetait tous les chevaux du Yentucky, même ceux ne portant pas le nom de Tornfield.