Les cloches sonnent dans les tours de nos âmes... [PV : Cyrus & Chronos]

Cyrus revenait souvent par ici, à se promener dans la forêt. Ces temps-ci, il appréciait l'odeur boisée qui en ressortait, annonçant l'arrivée du printemps, tant attendu. L'hiver avait été rude, et il avait encore été chanceux de ne pas attraper la mort. Son corps était toujours aussi solide, et depuis le temps, il avait su s'adapter et développer un poil suffisamment épais pour être étanche. Mais tout de même, cet hiver là avait été bien froid et glacé, un peu comme si les Monts Blancs avaient décidé de partager leur neige avec tout le territoire, Lexas compris.

Cyrus se demandait bien comment se passait la vie là bas, à présent, et si Aramis avait survécu à l'hiver. Même s'ils étaient ennemis aujourd'hui, il n'en gardait pas moins une affection certaine pour le puissant étalon noir. Aramis avait été aveuglé par la jalousie, lorsque Rosehannah s'était donné à Cyrus.
Il soupira, en se rappelant ce jour, où tout a commencé. Depuis, les rancœurs devenaient plus fortes, même si personne n'en avait vraiment pâti encore.

Mais les tensions grandissaient. Cyrus avait entendu dire qu'Aramis avait fermé les frontières du Lexas, aux habitants du Yentucky, comme si le Lexas lui appartenait, à lui et à sa famille. Cyrus lui, était plus sage. Il n'interdirait pas aux Lexas de venir profiter des terres du Yentucky, car après tout, il n'avait aucune emprise sur elles. Il n'était qu'un étalon à la famille nombreuse et solide, habitant aussi bien qu'un autre cheval pouvait le faire sur le Yentucky.
Cependant, s'il venait à croiser un Rockwell, il le renverrait chez lui, avec un petit souvenir sur la croupe.

Non loin, dans les bois, une silhouette claire se découpait des arbres. Cyrus s'en approcha sans hésiter, et il fut soulagé de constater que ce n'était pas un Rockwell. Il ne portait pas l'odeur si caractéristique de la famille d'Aramis. Affichant alors un large sourire chaleureux, le grand bai s'arrêta à deux ou trois mètres, de l'étranger.

- Bonjour, je suis Cyrus Tornfield.

Il restait silencieux, en l'attente d'une quelconque réponse ou parole de la part du jeune étalon en face de lui. Mais l'inconnu, semblait partir ailleurs, loin, perdu dans ses pensées. Il ne désirait pas le perturber. Cyrus était patient. Bon, pas en toutes circonstances, mais la plupart du temps, il l'était. Il profita donc de ce moment d'absence pour détailler le corps de ce jeune cheval. Il était plutôt fin avec une musculature discrète. Mais cela ne voulait rien dire. Cyrus avait déjà vu des chevaux fins comme une brindille venir à bout d'un grand trait. Les chevaux fins étant beaucoup plus rapides et souples, ils évitaient les coups facilement. Cyrus était entre-deux, Dame Nature ayant fait de lui un guerrier, et il l'en remerciait.

Et alors, l'autre devint plus renfermé, plus... tendu. Plaquant sa queue contre ses cuisses, les oreilles tournées vers l'arrière. Cyrus pencha légèrement sa tête de côté, intrigué par une telle réaction. Et puis soudain, un frémissement violent le prit. Le bai releva la tête, lorsque l'autre prétexta un rhume, puis rappela à Cyrus une première rencontre, très rapide. Il n'en avait aucun souvenir, et cela la gêna quelque peu. Cyrus glissa son regard sur la forêt, en tentant vainement de se rappeler le visage de ce jeune crème. Il ne l'avait pas marqué, et impossible de poser la main sur un quelconque morceau de mémoire contenant son image.
Il porta alors de nouveau son regard brillant sur le visage de Chronos, puisque tel était son nom.

Il s'inclina, visiblement mal à l'aise et paniqué. Et puis, deux mots sortirent de sa bouche. Mon roi.
Les oreilles de Cyrus bougèrent en tout sens sur sa tête, puis il éclata de rire.

- Je n'ai pas l'étoffe d'un roi, Chronos. Relevez vous.

Il lui sourit alors, chaleureusement.

- Je ne suis que père et chef d'une famille nombreuse.

Il n'avait aucun pouvoir sur le Yentucky. Ou du moins, il n'exerçait aucune pression, pour le moment, sur le Yentucky, au contraire d'Aramis. Les Tornfield étaient puissants, mais Cyrus estimait qu'ils n'avaient aucun pouvoir sur la vie des habitants du Yentucky, ou du Lexas, hormis les Rockwell. Aussi, les laissaient-ils vivre en paix.

- Je suis d'ailleurs enchanté de faire votre connaissance, de nouveau. Je suis navré de ne pas vous avoir reconnu, mais vous êtes tellement discret.

Il accompagna sa remarque un peu pointue d'un sourire taquin.

Cyrus... Chronos l'appréciait, définitivement, ou du moins le respectait. Il semblait sage, conscient de sa place dans le monde. C'est une grande qualité, que peu de personnes possèdent. Savoir ce qui nous revient, ne pas prétendre de plus. Si l'on veut plus, il faut travailler, il faut le mériter, pas le voler. Le vol n'amène jamais rien de bon. Chronos se releva prestement, écoutant l'étalon.

Alors qu'il était chaleureux et plutôt amical, le sourire taquin du bai le mit mal à l'aise. Tout ce qui venait des autres lui semblait étrange et effrayant. Cyrus le taquinait-il ? Etait-il sérieux ? Peut-être était-ce une question, une menace, un reproche ? Bon dieu, Chronos détestait quand les autres se laissaient aller à l'humour ! Il n'y pigeait jamais rien ! Lui, il voulait s'amuser, se faire accepter, rire et faire rire... mais impossible. On n'a pas tous les mêmes connections... et puis Chronos, la wifii haut débit, il n'a pas. Juste un vieux satellite des années 80.

Mais baste, autant répondre avec modestie à se qu'il considérait comme une semi question.

< Eh bien... on peut considérer cela comme une qualité... >

Vite arrivé, vite partit, vite oublié. Que personne ne le remarque ! Chronos, lui, se souvenait de tout, ou presque. Par exemple, la rencontre avec ce chef lui revenait petit à petit. Il l'avait trouvé imposant, aux allures de guerrier. Bien bâtit et, pour tout dire, assez beau gosse... mais ça, oh non ! jamais il ne le dirait...

< En revanche, vous, on ne vous oublie pas facilement ! Vous êtes... >

Mince ! Stupide cerveau ! Il avait faillit lâcher la bombe : "beau". Bon, vous inventez pas des histoires, Chronos n'est pas tombé amoureux de cet étalon qui, par ailleurs, à déjà une jument. Mais il est honnête : quand on trouve un paysage beau, on le dit ; quand on trouve une peinture belle, même si ce n'est pas notre style et qu'on en voudrait pas dans son salon, on le dit ; Chronos saluait tout simplement l'artiste d'un tel corps. Ou du moins il avait bien faillit. Presque paralysé, il reprit ses esprits rapidement et laissa sa phrase en suspens, faisant mine de n'avoir jamais dit ce bout de phrase.

Le regard de Cyrus se faisait plus brillant, lorsque le jeune Chronos répondait à toutes ces répliques, avec cependant, politesse et modestie. Il appréciait cela. Mais il lui semblait qu'il manquait énormément de confiance en lui, et se sous-estimait. Un problème persistant, mais que peu d'étalons rencontraient dans leur vie. Après tout, les mâles étaient toujours très fiers d'eux. Chronos était une exception, a priori.
Il sourit alors.

- Oui, la discrétion est une grande qualité. Encore faut-il en user avec sagesse.

Une nouvelle petite pique, non pas pour le déstabiliser, mais bien parce que Cyrus était fait de cette façon. Taquiner, jouer, et pourtant en apparence, restait calme et droit. A l'intérieur, il jubilait. Cyrus était comme un enfant dans un magasin de jouets. Toujours excité, en toute occasion, toujours émerveillé, par la vie. Chaque jour était l'objet d'une découverte, et chaque jour était pour lui, une naissance. Non, il ne vivait pas au rythme du Carpe Diem. Il avait décidé d'un autre chemin, dont lui seul avait le secret, sa philosophie de vie. Et Cyrus était comblé, malgré les problèmes, malgré Aramis et les Rockwell, malgré le danger qui les guettait. Cyrus était épanoui. Apaisé, et bien dans sa peau.

Il en avait besoin.

Il pencha légèrement sa tête de côté, lorsqu'il entendit parler Chronos de nouveau. Mais il lui semblait qu'il s'était interrompu. Ou bien, était-ce lui, qui avait mal entendu ? Faisons d'une pierre deux coups.

- Oui ?

Cela pouvait passer pour une invitation à continuer sa phrase, s'il ne l'avait pas fini. Ou bien, cela pouvait aussi passer pour un malentendu. Après tout, jouer avec les mots, c'était aussi un plaisir.
Cyrus lui sourit de nouveau, en voulant le mettre plus à l'aise. Chronos avait vraiment l'air d'être effrayé à l'idée de faire un faux pas. Il en devenait presque mignon. Le bai sourit à l'idée que, peut être, sans le savoir, le jeune étalon faisait craquer beaucoup de demoiselles.
Mais il était loin de se douter du terrible secret que gardait au plus profond de lui Chronos. Du moins, tentait-il d'essayer de le sauvegarder.

Car Cyrus sentait bien, qu'il n'était pas net, et qu'il cachait quelque chose. Et déterminé, et patient, il était sûr qu'il le mettrait à jour, juste pour un désir égoïste de savoir.