Truth [ARAMIS]

I Wanna Hide the Truth
Aramis Rockwell & Daffodils Won't Flower

La lumière peinait à passer le barrage des feuilles qui s'étendaient avec paresse au-dessus des étangs. La lumière, normalement si claire, en devenait verte, un peu jaune parfois. Elle frappait l'eau, donnant une lueur éclatante et presque magique aux étendues, d'ordinaire d'une vilaine couleur verdâtre. Avec un regard pour les myriades de volutes que formait l'envol d'une libellule, Daffodils se prit à penser un instant que la lumière devait être nécessaire à la vie. Aussi sûr que l'eau permettait la croissance de l'herbe et sa propre survie, la lumière aidait les végétaux à pousser.
Mais elle n'était plus obligatoire pour la vie de la jeune ponette. Depuis un sacré bout de temps maintenant.

Avec un soupir, la petite jument continua à avancer, la tête basse, préférant habilement les flaques à la vase. Elle qui aimait tant l'eau ne savait que trop bien combien les étaux de boue pouvaient se montrer traîtres. Et elle doutait fort que qui que ce soit puisse venir à son secours ici. Ou le veuille, tout simplement. Son histoire n'était-elle pas écrite sur son visage, marquée dans chacun de ses pas ? La fatalité la suivait de bien près, et semblait prendre un malin plaisir à l'accabler de tous les maux.

D'ailleurs, sa seule présence ici ne démontrait-elle pas ce fait ?

Comme c'était devenu une habitude, Aramis Rockwell partait à la conquête de nouvelles têtes à faire entrer dans son camp, à monter contre son ennemi d'aujourd'hui : Cyrus Tornfield. Le goût de la vengeance lui montait de plus en plus dans la tête, et sa sœur n'y échapperait pas non plus. Ils seraient tous deux punis, l'ébène ce l'était promis. Un jour, ils paieraient leur trahison, de quelque manière. Laissant de côté son masque de dur à cuir, Aramis laissa une larme s'échapper de ses yeux. Mais il se reprit ; il avait été obligé de se débrouiller seul, lui. Il avait réussi à attirer plus de monde, lui. Ce qui faisait venir les autres, c'était la pitié. Cyrus passait pour un sans cœur, un traître.

La vase se collant sous ses sabots le sortit de ses rêveries. Quel idiot ! Pourtant, il connaissait plutôt bien cette zone d'étangs, où la vase pouvait être très présente à certains endroits.
Après avoir soufflé un juron, il s'éloigna pour essayer d'enlever la vase grâce à de l'herbe. En vain, ils étaient dans un coin humide, qu'elle idée. Il faut dire que le noiraud n'était pas vraiment dans son élément ces temps-ci. Il ne voyait presque personne et errait tête basse, tel un nomade sur ses propres terres. Mais hors de question de le dire ou encore de le montrer aux autres, sa fierté en prendrait un coup.

C'est alors qu'une odeur différente de celles qui l'entouraient lui monta aux naseaux. En avançant, il devint sûr et certain que celle-ci provenait d'un autre cheval, penchant vers une femelle.
Alors il avança, zigzaguant entre les hautes tiges et les multiples herbes pour aller à la rencontre de la demoiselle. Elle était belle, elle était fine. Pourtant, elle semblait réservée. Aramis s'approcha d'elle, de manière à s'arrêter à peine à quelques mètres de distance. Il la regarda, il l'observa même. Il la décrivait rapidement dans sa tête de façon à pouvoir bien la cerner, mais comme lui, elle semblait protégée par une carapace incassable.

- Ton nom ?

Il n'avait pas même pris la peine de la saluer, question d'habitude. En général, il faisait ça pour impressionner et voir si les autres étaient assez polis pour le faire tout de même. Ça lui permettait d'en savoir déjà un peu plus sur eux : s'ils ne le saluaient pas, c'était un caractère de courageux, de fougueux. S'ils le saluaient, c'était tout l'inverse, c'est à dire sensible, ou encore poli. Pourtant, certains avaient un mélange de tout, et c'est ça qui attirait Aramis. Le chef de famille aimait avoir des caractères, des physiques - etc - différents au sein de son territoire.

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Aramis Rockwell & Daffodils Won't Flower

La tête basse, l'esprit dans le vague, la jolie Daffodils ne prit conscience de la présence d'un autre équidé que lorsqu'elle se retrouva à fixer -assez bêtement- ses sabots. Nullement dérangée à l'idée d'être dans cette position de nette infériorité, elle redressa lentement la tête. Sa crinière volage reprit ses justes droits sur sa courte encolure, et elle dut émettre un soupir pour repousser son toupet, trop long et trop fourni pour qu'elle puisse bien voir.

L'inconnu était un noiraud, bien plus grand qu'elle. Mais forcément, elle n'était qu'une ponette. Même son père était plus grand qu'elle. A cette pensée, elle sentit son esprit s'indigner, et les larmes forcer le barrage de ses paupières. Restant avec un certain brio maîtresse d'elle-même, elle détailla l'étalon. Plus sûr de lui qu'elle ne l'avait jamais été. Habitué à être obéi à un point tel qu'elle ne pensait pas cela possible. Tout, dans sa posture, son impolitesse, la courbure de son encolure et le froissement de la peau délicate de ses naseaux, respirait le mâle. Rien d'étonnant à ce qu'il engage la conversation avec autant de...
D'impolitesse ? Voire même de provocation ? Jamais la jeune fjord ne se serait risquée à lui en faire la remarque. Elle n'avait jamais pris l'habitude de critiquer qui que ce soit; et, sans le faire, elle avait déjà suffisamment souffert. Autant le laisser se noyer dans son narcissisme et sa pseudo-sûreté. Daffodils ne serait plus jamais responsable de qui que ce soit.

Ses yeux maronnasses fuyant le regard de l'inconnu, elle se décida enfin à lui répondre. Lui répondre à sa manière, comme elle avait l'habitude de le faire. Rien ni personne ne lui enlèverait le brin de fierté et de vertu qu'elle avait encore. Qu'elle avait réussi à conserver, comme un masque pour tromper la face du monde.
"" -Bonjour. Daffodils Don't Flower, pour vous répondre. Aurais-je l'imprudence de vous poser la même question ?

Une imprudence qui venait uniquement du fait que la politesse voulait qu'il lui offre son nom. S'il ne souhaitait pas le faire, Daffodils ne broncherait pas, et s'en irait. S'il souhaitait le faire, elle agirait peut-être pareil. Ou parlerait un instant, jusqu'à se retrouver trop proche de révéler son secret. Et, finalement, elle partirait.

Elle semblait apeurée. Pendant quelques secondes, Aramis pensa que la jument allait se mettre à pleurer. Les larmes lui étaient montées aux yeux, mais elle avait apparemment su se contrôler. Peut-être lui avait-il fait peur, ou lui avait fait penser à quelqu'un d'autre ? Il recula d'un pas, ne cherchant en aucun cas à effrayer la belle.

Daffodils Won't Flower, ainsi était le nom intriguant de la jument qui se tenait devant lui. Elle était petite, mais race oblige, elle n'avait pas vraiment d'autres solutions. Plutôt jolie, elle semblait pourtant assez jeune, et très distante. Il y avait un passé, une histoire derrière cette carapace qu'elle montrait là à l'étalon. Alors quand, malgré ça, elle lui dit son nom tout en restant polie, Aramis sut qu'elle était quelqu'un de bien. Il fallait que, à son tour, il la salue comme si de rien était. Au fond, il savait que son attitude allait le tromper, qu'elle allait comprendre qu'il avait quelque chose derrière la tête. Peu importe.

- Alors bonjour, permets-tu que je ne t'appelle que par Daffodils ?

De sa voix rauque et sèche, l'ébène était certes impressionnant à première vue, mais jamais il ne ferait de mal à une femelle, de plus si elle était plus jeune que lui. Il savait se montrer agressif, égoïste, manipulateur et encore tous les défauts du monde, mais s'il y en avait un qu'il n'avait pas, c'était de toucher au jument. Ne voulant pas s'encombrer d'enfants, il avait pris l'habitude de protéger le peu de ceux qui trouvaient grâce à ses yeux. À voir avec cette Daffodils, qui semblait fort intéressante et intriguante.

- Aramis.

Par son nom, il avait peur de la faire fuir. Les Rockwell étaient la seule famille habitant ces terres, et son prénom était d'autant plus célèbre, étant chef de famille. Alors il choisit de ne dévoiler seulement celui-ci, même s'il y avait de fortes chances pour que la jument le reconnaisse.

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Aramis Rockwell & Daffodils Won't Flower

Une jument normale aurait eu une moue de surprise en entendant l'étalon se montrer soudainement poli. Une jument un peu intéressée par la vie, une jument un petit peu vivante. Ce qu'était loin d'être Daffodils, somme toute. Elle l'écouta tranquillement lui demander d'écourter son nom. Oui, Daffodils, c'était bien. C'était même mieux. Elle n'avait ainsi que la connotation de jonquille. Et non plus celle des fleurs qui ne fleuriront pas. Celle des fleurs qu'affectionnait sa mère et que chérissait son père.

Lorsqu'il se présenta à son tour, son nom lui apparut comme étrangement familier. Elle fronça un instant ses naseaux, en proie à une intense réflexion. Aramis. Cela était trop gros pour n'être qu'une coïncidence. Elle avait fuit sur la rive gauche pour s'éloigner de son père, qui vouait une amitié sans failles à la famille Tornfield. Sans vraiment s'en rendre, elle avait prêté allégeance à la famille Rockwell, qui s'était approprié ces terres.
Devant elle se trouvait donc le trop connu Aramis Rockwell. Celui qui, à en croire les ragots, était entré dans une rage folle en voyant sa sœur lui fausser compagnie. Avait-on le droit de retenir une sœur ? Cette pensée serra le cœur de la petite Fjord, en pensant qu'elle avait bien abandonné son frère. Sur qui elle avait également les droits de mère.

Sa question n'était que pure rhétorique, et pourtant la petite jument se permit de lui répondre. Elle était mélancolique, mais bien loin d'être faible. Et elle s'était promis de ne plus jamais se laisser diriger par un mâle.
"" -Mais je vous en prie.

Elle avait bien remarqué qu'il se permettait de la tutoyer, et désormais elle comprenait ce rapport de force tacite qui s'était imposé. Il était chef de famille, dirigeant de ces terres. Il avait tous les droits, sur la faune comme sur la flore. Bien qu'elle méprisât le principe même de propriété, elle ne pouvait que se soumettre à son autorité.
Baissant un peu la tête, elle continua à parler de sa voix fluette et presque inaudible.
"" -J'ai donc l'honneur de rencontrer mon hôte...
Ce n'était pas une question, jute une affirmation. Daffodils était sûre d'elle, de son instinct, et de l'identité de celui qui s'était permis de l'aborder.

Alors elle avait compris. Peut-être était-elle déjà avec lui contre Cyrus sans qu'il ne le sache ? Aramis voulait en avoir le coeur net. Elle semblait si fragile, il se pouvait qu'elle ne soit même pas au courant de la guerre qui se tramait sur la terre que jonchent ses sabots. Pourtant, les deux mâles avaient su clamer leur envie de se déclarer la guerre, il était quasi-impossible qu'elle ne le sache pas.

Elle paraissait bien plus jeune que lui, et pourtant si réfléchie. Il fallait la ramener de son côté, c'était une perle rare qui se trouvait là. Néanmoins, elle était trop réservée, et si elle voulait survivre à la guerre qui se préparait sur les deux territoires, il lui faudrait se faire protéger. L'ébène tenait vraiment à ça, c'était important pour tout le monde. Il lui faudrait la protéger lui-même, ou bien par un autre équidé de toute confiance. Pourtant, ces derniers étaient rares sur ces terres, Aramis avait du mal à faire confiance à qui que ce soit.
Il faillit se poser la question pour Daffodils, mais il se résigna en chassant cette idée d'un coup de tête : la jument était bien trop pure, trop fragile pour montrer signe de trahison.

- Raconte-moi ton histoire.

Peut-être qu'elle ne répondrait pas. Mais le respect que lui devait ne serait-ce que l'âge, et même le rang, lui imposait de n'en parler qu'un peu. Sinon, elle devrait se débrouiller seule dans la nature, et errer telle une solitaire.
Le point de vue que l'étalon avait sur elle changerait alors automatiquement, les vagabonds étants mal vus, presqu'autant que l'ennemi. Eux, ils ne choisissaient pas de territoires, ils ne se battaient pas. Aramis les considérait presque comme des peureux, des poules mouillées. Pour lui, c'était se battre, et rien d'autre.

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Aramis Rockwell & Daffodils Won't Flower

Elle respectait profondément Aramis. Comme elle respectait n'importe quel équidé, n'importe quel être vivant. Son père lui avait inculqué un bon nombre de valeurs et de principes, qu'elle s'efforçait d'appliquer chaque jour. Bien qu'elle ai pu voir à quel point il était facile pour l'étalon de renier un instant ses propres valeurs...
Mais l'idéologie et les souvenirs ne pouvant être oubliés, elle se contentait de les renier. En triant, en gardant les bons souvenirs comme les meilleures qualités. Sa vie n'était faite que de choix, de conséquences normales, et parfois d'actes manqués. Mais, responsable de sa vie comme de sa propre pensée, jamais Daffodils n'aurait réussi à remettre la faute sur qui que ce soit.

L'une de ses valeurs était précisément celle de ne rien dévoiler. Elle était secrète, mystérieuse, autant pour son propre bien que pour celui de son propre interlocuteur. Elle savait que, si ceux qui viendraient à connaître son histoire l'approchaient encore, ils en seraient gênés. Il ne pouvait plus y avoir aucun code avec la fille d'un tel père. Et la mère d'un tel fils.

Elle ne voulait pas raconter. Elle ne pouvait pas raconter.
"" - C'est en fuyant que je suis arrivée ici.

L'histoire était longue. Compliquée. Horrible à entendre, et encore plus à raconter. Daffodils releva un instant la tête, défiant le mâle du regard. Elle avait commencé. Il lui avait demandé de raconter, elle lui avait dit quelque chose. La fin de son histoire. Mais aussi ce que l'on pouvait aussi considérer comme le début de la rétrospection. Car tout commençait par sa naissance, et se finissait par sa rencontre avec Aramis. Mais, si elle n'était pas née de cette mère, sur ces terres, jamais elle n'aurait pu le rencontrer. Si son père n'avait pas été son géniteur, elle serait encore là-bas. Elle ne risquerait pas sa place sur les terres des Rockwell mue par la peur sourde de devoir raconter son passé. Mue par la peur sourde de retourner sur l'autre rive, d'y être forcée. D'être obligée d'affronter à nouveau son histoire, sa famille. De tout se reprendre en pleine face.
En se défendant, Daffodils risquait gros. On ne mentait pas longtemps au chef de famille. Voire on ne lui mentait pas du tout.
Mais était-ce vraiment un mensonge ? Ou juste un raccourcissement de l'histoire ? Une passe sous silence des événements honteux ?

C'était clair, la jument ne voulait pas rentrer dans les détails de son histoire. Aramis n'insisterait pas malgré l'envie de connaître ce passé si douteux que Daffodils Won't Flower laissait apparaître. Une jument visiblement des plus fragiles, et même s'il ne connaissait rien d'elle, l'étalon eut de la peine, un sentiment de peine qu'il ne ressentait que très rarement, surtout envers les autres. Lui qui était si égoïste, c'était incroyable comme il pouvait changer d'attitude en un rien de temps. Mais il se fichait bien de ce que pouvait penser les autres de lui, même la Fjord.
Mais le chef de famille restait partagé entre ses sentiments ; de la peine d'un côté, tendis que de l'autre, il ressentait plutôt une sorte de colère intérieure. Il était le chef de famille, et un équidé de ses terres ne pouvait pas lui cacher une quelconque histoire. Il ne devait pas lui cacher une histoire mal vécue. Et donc Daffodils était en tort, et Aramis ne voulait pas faire d'exception. Mais cette jument était différente, il y avait quelque chose de peu commun que logeait au fond de son être. Et ce quelque chose peu commun, Aramis n'avait pas envie de le perturber, et de chambouler le reste de son coeur.

- C'est comme tu veux.

Que dire de plus ? L'envie lui brûlait aux lèvres de demander à la jument si elle ne voulait pas rejoindre ses terres au lieu de errer telle une vagabonde, mais ça paraîtrait trop rapide. Il la brusquerait et rien d'autre, et ça, il ne voulait pas. Trop fragile, mais en même temps assez mature pour savoir faire sens choix seules. Même si l'ébène sera verrait affreusement vexé si la douce se voyait refuser sa proposition.

- Daffodils, ta subtilité et ta douceur manque à mon territoire, et j'aimerai que tu me rejoignes au sein de celui-ci.

Après tout, pourquoi refuserait-elle une pareille proposition ? Aramis n'était pas qu'un simple étalon,il était bien au dessus. C'était une place qui ne se refusait pas.

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